En revanche, Marianne n'avait pas retrouve sa femme de chambre. Agathe
Pinsart avait disparu. Pas tres loin, d'ailleurs, et sans qu'il y eut
pour cela la moindre tragedie. Contrairement a ce que l'on pouvait
craindre, la pauvre fille avait parfaitement resiste au traitement,
aussi barbare que repugnant, auquel Leighton et ses mutins l'avaient
soumise a bord de la Sorciere. En revanche, son charme acidule
avait subjugue le reis qui, en s'emparant du brick, avait libere les
prisonniers. Et comme, pour sa part, Agathe avait ete profondement
impressionnee par la prestance, les vetements de soie et les superbes
moustaches du jeune capitaine turc, le voyage vers Constantinople avait
revetu, pour ces deux-la, l'aspect reconfortant d'un long duo d'amour au
terme duquel Achmet avait offert a sa douce amie de l'epouser.
Persuadee de ne jamais revoir Marianne en ce bas monde et, d'ailleurs,
fort tentee par la vie douillette des dames turques, Agathe n'avait
resiste que pour la forme et pour donner plus de prix a son accord. Et,
quelques jours avant l'arrivee de sa maitresse, elle avait, avec
enthousiasme, embrasse l'Islam, embrasse aussi Achmet et, avec tout le
ceremonial requis, fait son entree dans la belle maison que son epoux
possedait a Eyoub, aupres de la grande mosquee fraichement reconstruite
par Mahmoud II, pour abriter l'empreinte du pied du Prophete.
Marianne aurait aime rendre visite a son ancienne soubrette pour la voir
dans son nouveau role et pour la rassurer sur son propre sort, mais
cela aussi appartenait au domaine des imprudences. Il fallait attendre,
interminablement, attendre encore et encore, meme si, a mesure que
passait le temps, cette attente se faisait supplice. Mais, tout de meme,
l'epreuve avait pris fin.